Comme un clin d’œil de l’histoire, le « quartier Saint-Paul » de 1720 correspond exactement, près de 300 ans plus tard, à la délimitation actuelle du TCO.
Les communes de l’Ouest successivement constituées : Saint-Paul (1790), Saint-Leu (1790), La Possession (1890), Le Port (1895), Trois-Bassins (1897).
La société réunionnaise actuelle est la résultante des choix successivement effectués par nos ancêtres face aux grands événements rencontrés au fil des siècles.
Cette exposition apporte une lecture du territoire, sans pour autant prétendre à une quelconque exhaustivité. Elle met en lumière la relation existante entre certains événements historiques significatifs et ce dont nous héritons aujourd’hui.
Le focus se fait sur Trois-Bassins pour plusieurs raisons. Ce territoire sert la logique commerciale de la compagnie des Indes dans un premier temps. Ensuite, la naissance de cette commune est emblématique de l’histoire de l’industrie sucrière. Enfin, le devenir du domaine de la Grande Ravine illustre la politique foncière en vigueur dans l’île après la départementalisation en 1946.
1665 | L’île Bourbon, un peuplement fondé sur une logique économique
Dix Malgaches et deux colons français de Madagascar s’installent volontairement et durablement dans l’île dès 1663.
Cependant, la création d’une véritable colonie résulte de la stratégie commerciale de Compagnie Française des Indes Orientales. La colonisation de Fort Dauphin – Madagascar – ayant échoué, elle décide d’établir des ports sur les îles Mascareignes. Cette entreprise coloniale créée par Colbert a pour objectif de doter la France d’un outil de commerce international (épices et soie) avec l’Asie et de concurrencer les puissantes Compagnies européennes fondées au XVIIe siècle.
Elle a aussi pour mission de propager la civilisation française et la religion catholique dans l’océan Indien. Son pouvoir est très important jusqu’à l’édit de Versailles en 1764 lui ordonnant la remise des Iles à la Couronne.
Les premiers colons recrutés par la Compagnie des Indes arrivent en 1665. Ils s’installent aux abords de l’étang de Saint-Paul. Pour développer ses affaires commerciales, la Compagnie leur accorde des concessions entre la Grande Chaloupe et la ravine Saint-Gilles.
1698 | La conquête de l’Ouest
La Compagnie des Indes organise la production de café en attribuant des concessions et des plants de café à des colons.
La première concession au-delà de la ravine Saint-Gilles est attribuée en 1698 à François Mussard. Il la revend deux ans plus tard à Jacques Léger, un ancien forban des Antilles, arrivé dans l’île en 1699. Elle est dénommée « habitation des trois bassins ».
En 1703, Jacques Auber, dit « l’almanach », reçoit en concession la bande contiguë, celle allant de la Grande Ravine à la ravine des Colimaçons.
D’autres concessions sont attribuées gratuitement jusqu’à la ravine du Trou à Gilles Dennemont (1703), Pierre Hibon (1709) et Les frères Rivière (1720).
1790 | Naissance des municipalités, fruits de la Révolution française (1789)
La logique de peuplement qui prévalait un siècle plus tôt disparaît en même temps que la Compagnie des Indes. L’île compte alors 9 quartiers.
La partition du « quartier Saint-Paul » aboutit, en août 1790, à deux municipalités correspondant aux deux paroisses déjà existantes : Saint-Paul et Saint-Leu. La ravine des trois bassins fait office de ligne de séparation. Ainsi, l’ex « habitation des trois grands bassins » appartenant à Jacques Léger se trouve répartie sur les deux municipalités.
1720-1820 | Un siècle de morcellement de concessions, conséquence de la Coutume de Paris
Depuis 1715, l’île est régit par la Coutume de Paris qui prévoit, en matière de succession, un partage égalitaire entre les enfants du défunt.
Au regard de la géographie de l’île, les propriétés sont séparées dans le sens de la longueur « du battant des lames au sommet des montagnes ».
Ainsi, après trois générations, les concessions sont transformées en lanières larges d’une vingtaine de mètres seulement pour certaines. Toute exploitation devient complexe.
Exemple d’un document de division foncière
Illustration : Partie Nord de l’ex l’habitation Jacques Auber (1822)
1821-1846 | Exploitation de la canne à sucre : remembrements fonciers
En 1805, La France perd Saint-Domingue, sa principale colonie productrice de sucre. Lorsque les Anglais rendent l’île de La Réunion aux Français, la canne à sucre devient la nouvelle culture-providence. Cette exploitation exige, certes la construction de sucreries, mais surtout de vastes superficies pour planter la canne.
C’est ainsi que de 1822 à 1841, Mathurin de Guigné et ses fils rachètent des terres auprès de certains héritiers de Jacques Auber, toutes situées entre la Grande Ravine et la Petite Ravine. Sur cette portion, la route royale est construite en 1834.
Acquisitions de Guigné et ses fils entre 1822 et 1841. Constitution du domaine de la Grande Ravine – 1ère phase.
Cour d’une habitation sucrière à La Réunion vers 1850
1846-1874 | Constitution du Domaine de la Grande Ravine
Trois années plus tard, la famille de Guigné vend son domaine à un groupement d’associés dont les frères Gautier. Leur belle-sœur, Anaïs Ferrère, veuve de Louis Aristide Gautier – propriétaire d’une grande habitation sucrière au Gol -, prend la tête du domaine nouvellement constitué. Elle devient propriétaire d’autres terrains adjacents, créant ainsi le Domaine de la Grande Ravine (Cf. partie en jaune dans la carte ci-dessous).
Les héritiers Gautier créent en 1874, la SCGR – Société Civile de la Grande Ravine – tout en continuant la politique d’acquisitions (Cf. partie en bleu dans la carte ci-dessous) initiée par la veuve de Louis Aristide. L’usine se modernise.
Constitution du domaine de la Grande Ravine – 2e phase
Pont du chemin de fer sur la Grande Ravine
1874-1897 | Impact de l’industrie sucrière : création de la municipalité de Trois-Bassins
En 1884, une société d’actionnaires, la « Société Établissement Grande Ravine » est créée suite à la licitation des Biens du domaine entre les consorts Gautier. D’importants investissements sont réalisés. Le plus remarquable étant un premier téléphérique en 1887, servant à acheminer les cannes depuis l’actuelle route Hubert de Lisle. D’où la dénomination actuelle du « Quartier du câble ».
Dès lors, les habitants de cette localité expriment leur volonté de s’émanciper. Suite à une pétition en juillet 1888, le conseil municipal de Saint-Leu leur accorde un adjoint spécial.
En 1892, des habitants adressent au Gouverneur une pétition pour réclamer la création d’une commune indépendante. La commune de Saint-Leu s’y oppose suite au rapport circonstancié d’un adjoint, Camille Piveteau, alors directeur de l’usine de la Grande Ravine. Pour autant, il deviendra le Maire de la Commune de 1904 à 1919.
Finalement, après de nombreux échanges épistolaires impliquant le Ministre des Colonies, le Gouverneur de l’île, des habitants impatients, la loi érigeant Trois-Bassins en commune est promulguée le 15 avril 1897.
Grande Ravine (Saint-Leu). Construction du nouveau bâtiment et transport des cylindres de moulins, 1906.
Grande Ravine (Saint-Leu). Transporteur à cannes à sucre, 1906.
Grande Ravine (Saint-Leu). Le directeur de l’usine dans un champ de cannes. 1906.
1890 et 1895 | Création des municipalités de La Possession et du Port
En 1872, les habitants de La Possession demandent au Gouverneur d’ériger leur localité en commune. Ils estiment que la contribution fiscale versée à la municipalité de Saint-Paul correspond au double des retours investis sur leur territoire. Ils considèrent disposer de tous les éléments nécessaires, institutions et industries, pour assurer leur propre gestion.
Malgré le vote favorable du conseil municipal de Saint-Paul, rien ne se passe jusqu’à la seconde pétition adressée au conseil général près de 10 ans plus tard. Cependant, la nouvelle loi de 1884 impose une enquête sur le projet et ses conditions ainsi que les avis favorables du conseil municipal, du conseil d’arrondissement, du conseil général et du Conseil d’État.
Au bout de 6 années de procédures supplémentaires, La Possession devient commune par la loi du 14 août 1890. La Pointe des Galets passe alors sous l’administration de cette nouvelle commune.
Pont du chemin de fer sur la ravine des Lataniers, quartier La Possession.
La Possession
1895 | Détachement du Port
La construction du port de la Pointe des Galets démarre en 1879.
Une partie des quelques 8 000 ouvriers – Réunionnais, Indiens, Malgaches et même Égyptiens – s’installe progressivement dans des cases ou paillotes de fortune aboutissant, de fait, à des bidonvilles.
La création d’une nouvelle commune s’impose par la présence des 2 000 habitants affectés à la construction du port et du chemin de fer. La localité de la Pointe des Galets devient commune du Port le 22 avril 1895.
Bassin du port de la pointe des Galets
1897-1919 | Crise de l’industrie sucrière : fermeture de l’établissement de la Grande Ravine
Depuis 1863, une crise économique ébranle les structures du monde colonial. La révolution industrielle ouvre l’ère du capitalisme colonial. Le contexte économique ne permet qu’aux usines les plus importantes de rester compétitives. Le Crédit Foncier Colonial (CFC), puissante société parisienne de crédit, prêtent des sommes considérables aux familles locales pour équiper leurs sucreries en grosses machines. Ne pouvant rembourser, de nombreux propriétaires sont ruinés, leurs Biens saisis. Le contexte politique, les innovations et les restructurations participent également à la concentration des usines. Avant la crise, l’île compte plus de 200 sucreries. Un demi-siècle plus tard, il en reste moins de 20.
Pour revenir à notre exemple à Trois-Bassins, la Société Etablissement de la Grande Ravine (S.E.G.R.) tente de sortir de ce marasme en investissant dans de nouveaux moulins en 1906 puis dans un second téléphérique en 1909. Pourtant la société est en cessation de paiement en décembre 1916. Après trois ans de procédure, ses créanciers obtiennent la fermeture de l’établissement sucrier et la vente des terres agricoles et autres Biens.
En août 1919, à l’audience des criées du tribunal de première instance de Saint-Pierre, Alexandre Bègue, propriétaire terrien au Tampon, devient l’adjudicataire des Biens de la S.E.G.R. Il cède une partie de ce domaine à son beau-frère Maximin Bénard.
Grande Ravine Saint-Leu. Vue générale de la sucrerie. 1906.
Cette exposition itinérante est disponible en prêt (supports inclus) aux institutions et associations. Sur demande et après signature d’une convention. ► Personne à contacter : Geneviève Pothin 02 62 32 31 66 | genevieve.pothin@tco.re
Cette exposition est une réalisation du TCO
Recherches, conception, écriture : Geneviève Pothin (Dr en muséologie / Attachée Principale de Conservation du Patrimoine)
Expertise scientifique : Daniel Vabois
Graphisme et scénographie : Pascal Knoepfel / atelier Crayon Noir
Impression, fabrication des supports : RéuniPub